Quand on dit "Le Mépris", on pense bien évidemment à la magnifique Brigitte Bardot, à Jean-Luc Godard et aux célèbres répliques "Et mes fesses? Tu les aimes mes fesses?".
Mais avant le film était le livre... Celui de Moravia.
Une histoire d'amour comme tant d'autres: la rencontre, l'amour fou, le mariage, l'achat de l'appartement, le bonheur, ... et puis l'habitude, le déclin, ... pour caricaturer...
Or, c'est écrit avec tellement de talent et de psychologie. L'auteur a la plume parfaite pour nous faire ressentir le décor, la chaleur, les couleurs, les émotions, les tensions, l'ennui, la torture psychologique jusqu'à en éprouver nous-même le malaise.
L'histoire:
Quand Riccardo Molteni rencontre la belle Emilia, c'est l'amour fou. Ils sont tellement fusionnels et passionnés que Riccardo est prêt à tout pour satisfaire sa belle, son bonheur n'a pas de prix; C'est ainsi qu'il fait l'acquisition à Rome d'un bel appartement spacieux pour abriter leur couple et leur intimité. Emilia quitte alors son travail de dactylo pour n'être plus que pleinement, Madame Molteni. Toutefois, comme on ne peut pas vivre éternellement "d'amour et d'eau fraîche", les difficultés financières vont finir par surgir...
Riccardo décide alors de renoncer au métier qui lui tenait tant à coeur, sa passion: écrivain de théâtre, pour se faire embaucher dans le cinéma en collaborant à l'écriture d'un film; les cachets étant plus conséquents et perçus plus rapidement.
Mais bien vite ce travail le lasse et même le dégoûte. Il fait part de son sentiment à Emilia qui craint de perdre son confort de vie. Le regard que lui porte Riccardo va se modifier, la considérant égoïste et vénale. En même temps, Emilia se fait de plus en plus distante, et lui ment. La fissure se créer doucement.
Riccardo cherche à tout prix à comprendre mais Emilia reste mutique, elle ne veut rien lui dire. La tension psychologique est intenable pour Riccardo. Il essaie de décortiquer toutes les situations, qu'a-t-il pu bien dire ou faire pour la mettre dans cet état? Et puis un jour, il réussit à la faire craquer: "Je ne t'aime plus, je ne t'aimerais plus jamais, je te méprise. Je te quitte.".
Et voilà Riccardo encore plus pris dans la tourmente. Elle le méprise mais ne sait pas pourquoi.
Alors que son producteur Battista lui propose un nouveau projet, considérant que c'est "l'homme de la situation", Riccardo y voit une opportunité pour relancer son couple en s"expatriant à Capri, dans le villa du producteur, le temps de l'écriture du scénario. Un changement d'air, la mer, le soleil, permettront sûrement à Emilia de revenir sur ses sentiments. Du moins le pense-t-il...
C'est ainsi que Rheingold (le co-auteur allemand), Battista, Riccardo et Emilia se mettent en route pour Capri... afin de donner vie à une version moderne de "L'Odyssée" d'Homère.
Entre les lignes:
La pression psychologique est pressante dans toute la deuxième parti du roman (le déclin de leur amour). Alors qu'Emilia est froide et distante, donnant le sentiment de ne rien ressentir, d'être détachée, hautaine sans aucune empathie, Riccardo est torturé. Il aimerait comprendre pour agir. Parallèlement à cela, son travail lui pèse car il ne lui plait pas, et les difficultés d'argent s'amoncellent. C'est la vision de "L'Odyssée" décrite par Rheingold qui le fera réfléchir et comprendre. Cet allemand qu'il n'aime pourtant pas va lui ouvrir les yeux sur sa propre situation. Quand ils échangent sur leur vision du chef d'oeuvre classique d'Homère, Riccardo a la désagréable impression qu'il lui dépeint son couple: Pénélope, épouse fidèle et malgré tout ne semblant pas aimer Ulysse. Ulysse lui-même ne semblant pas si pressé de rentrer... 10 ans pour rentrer en Grèce auprès des siens alors que la guerre est finie, est lourde de sens pour Rheingold; Alors que Riccardo en a une vision tellement romantique, bien loin de ces petits calculs.
Alors coïncidence ou pas?
Ce roman de Moravia, écrit en 1954, n'a pas pris un ride. Son histoire est intemporelle... comme "l'Odyssée" d'Homère, si présent dans le livre, dont le succès ne se dément pas au fil des ans. Ce qui est intéressant, à mon avis, c'est le fait que ce soit l'homme qui soit dans cet état psychologique... la torture mentale étant souvent l'apanage des femmes. Mais Ricardo a déçu Emilia (en reniant ses valeurs au profit de l'argent?) et c'est irréversible. Ce roman pourrait être un mélange de "La Dolce Vita" de Federico Fellini et de "Qui a peur de Virginia Woolf" de Mike Nichols.
Il m'a aussi fait penser, pour l'ambiance à "Paris est une fête" d'Ernest Hemingway.
Très beau drame, inspirant, je comprends pourquoi Jean-Luc Godard en a fait un film... devenu culte, évidemment!