Le nouveau Despentes venait de sortir en poche. Elle l'avait acheté sur le chemin du retour du travail, et n'avait pu s'empêcher de le commencer dans le métro (même si l'autre bouquin qui traînait dans son sac n'était pas encore terminé, "on verrait plus tard").
Elle était tout de suite rentrée dedans, l'écriture de Despentes était tellement fluide, percutante et cash. Elle aimait cette auteure mais n'avait pas pourtant pas fini la trilogie de "Vernon Subutex". Pas à cause de l'histoire ni du style littéraire, mais elle, si sensible avec son nez bionique, était restée bloquée sur l'odeur du cuir de Vernon à la fin de la 1ère partie. Certes, ce n'était pas de la faute du personnage, ses moyens ne lui permettaient plus une hygiène corporelle et vestimentaire régulière. Mais cette odeur, fruit uniquement de son imaginaire et son vécu, était accrochée à ce roman, et revenait sans cesse en nez et au fond de sa gorge rien qu'en y pensant.
"Cher Connard" était encore une histoire de "révoltés". Elle s'identifiait sans difficulté et cela faisait remonter en elle une part d'agressivité qu'elle avait enfouie, enterrée, oubliée depuis tellement longtemps. Elle avait envie d'en faire une suite ou une histoire parallèle, avec son propre imaginaire.
Ce n'était pas la première fois qu'elle ressentait ça avec un auteur. Toujours avec des thèmes de souffrance d'ailleurs. Le talent des auteurs est là,faire croire aux lecteurs qu'ils peuvent être à leur niveau, en s'inspirant, reprenant le flambeau.
Cet exercice servirait sûrement à débloquer quelques cases dans sa thérapie. Mais elle ne voulait pas tomber là-dedans. Elle se considérait comme une personne gentille et tolérante, empathique, spongieuse. Elle préférait souffrir et délester les autres de leurs douleurs, plutôt que d'être dans la colère et insensible.
Mais ce roman lui parlait. Elle l'aimait déjà. Elle avait envie de le dévorer à pleines dents, tant l'histoire et le style de Virginie Despentes lui plaisait. C'était pour ça qu'elle aimait la littérature. Découvrir des univers et des gens aux antipodes d'elle et de ce qu'elle connaissait; mais qu'elle aimait, qu'elle avait envie de connaître, et de comprendre.